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21/07/2014

2. D'un caviardage à un autre

     C'est donc en 1993 que j'ai fait cette petite découverte de la suppression rétrospective, par De Gaulle, de l'adverbe "souveraine-ment" dans le texte fondateur du Conseil National de la Résistance tel qu'il paraît dans le deuxième tome des "Mémoires de guerre", Plon, 1956, page 445.

     Il en est résulté le livre "Fallait-il laisser mourir Jean Moulin?" que Françoise Petitdemange et moi avons publié en 1994. Pour se faire une idée plus précise de ce type d'écriture, et de ce que peut être l'accueil qui attend quiconque prétend remettre certains documents sur la place publique, il ne sera sans doute pas inutile de consulter

                             http://souverainement.canalblog.com

     Le fait est qu'il y a une très nette résistance à la Résistance. En un peu moins de vingt ans, nous n'avons encore rencontré aucune personne qui nous ait offert son étonnement - ne parlons pas d'une éventuelle colère - à découvrir ce phénomène tout particulièrement choquant puisqu'il ouvre la voie à cette autre découverte que c'est bien De Gaulle et ses "services" qui ont livré Jean Moulin à Klaus Barbie.

     Voilà où nous en étions lorsque François Hollande, le tout nouveau président de la république française, est venu à la tribune des Nations-Unies le mardi 25 septembre 2012 pour prononcer un discours que j'ai d'abord entendu en direct sur une radio française... Et tout à coup, j'ai ressenti comme un choc : il nous refaisait le coup du caviardage!...

     Ecoutons-le :
     "
Je viens parler au nom de valeurs universelles que la France a toujours proclamées, des droits qui sont ceux de tout être humain où qu’il vive : la liberté, la sûreté, la résistance à l’oppression." 
                              (Pour la dégustation, c'est ici :

       http://videos.tf1.fr/infos/2012/premier-discours-de-hollande-devant-l-onu-la-video-integrale-7546325.html)

     Ainsi donc, Charles de Gaulle n’est décidément pas le seul à bidouiller honteusement les textes fondamentaux…

     En effet, ainsi qu’il l’annonce à mots couverts, le néophyte de la présidence de la République française appuie son premier discours à l’O.N.U. sur l’autorité qu’est censée lui donner la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

     Et le voici qui oublie un tout petit quelque chose dans la liste qu’elle donne, dans son article 2, des « droits naturels et impres-criptibles de l’homme » : « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».

         Après le faussaire De Gaulle, à propos des pouvoirs du C.N.R. : « Afin que le Conseil de la résistance ait le prestige et l’efficacité nécessaires, ses membres devront avoir été investis de la confiance des groupements qu’ils représentent et pouvoir statuersur l’heure au nom de leurs mandants. », nous nous trouvons maintenant en présence du faussaire Hollande, à propos des : « droits qui sont ceux de tout être humain où qu’il vive : la liberté, … , la sûreté, la résistance à l’oppression. »

     Mais pas « la propriété » ?… Tu m’étonnes, François.

20/07/2014

3. De Gaulle?... un peu plus de 2 millions de morts

     En tant qu'en ce qui concerne la sphère politique, et plus particulièrement dans sa version impérialiste, ce sont effectivement la souveraineté et la propriété qui commandent la mort, il saute aux yeux que leur enfoncement délibéré vers les limbes de l'inconscient pose une question majeure qui pourrait servir à éprouver la pertinence, jusque dans ce domaine, des lignes d'analyse que Jacques Lacan n'aura cessé de définir tout au long de sa vie professionnelle. 

     Mais il y avait ce grave handicap du caractère lacunaire, et plus que lacunaire, de la publication de ses oeuvres.

     A quoi il m'est arrivé, en feuilletant un livre de Jean Allouch, d'apprendre qu'Internet offrait un remède pour moi totalement inattendu : http://www.ecole-lacanienne.net/. Me voici donc paré de pied en cape pour répondre au défi que m'offre Lacan quand je lis sous sa plume ce cartel qu'il adressait le 16 octobre 1929 (8 jours avant le jeudi noir de Wall Street) à Ferdinand Alquié qui venait de manquer un rendez-vous de choix avec lui :

     "Le sentez-vous, Alquié ? Quelque chose gît au fond de nous, qui, avec nous, mais presque malgré nous, croît et mûrit, qui vit de nous mais nous fait triompher maintes fois de la mort.
    
Presque malgré nous, ai-je dit, cela doit parvenir à être mûr. C’est qu’aussi bien nous ne sommes pas libres d’en hâter la venue, d’en orienter la forme – du moins sans dommages.
    
Nos efforts, notre travail quotidien certes nourrissent ce "génie" – du moins on veut le croire. Mais c’est moins par le contenu et l’objet de ces efforts, qu’en tant qu’ils tonifient, exaltent et exercent toute notre personne. On sent bien que tout cela ne fait qu’éveiller quelque chose d’inné en nous qui aussi bien résonnerait peut-être à n’importe quel déchaînement – ou même à l’inertie."

     "Triompher maintes fois de la mort", c'est le fond même du projet que je place devant la mémoire de Jean Moulin... ce Petit Poucet qui nous a tracé la route d'un exercice de la souveraineté autrement digne d'une véritable citoyenneté que cette infâme gesticulation qu'on nous autorise à mener devant l'urne de toutes les trahisons.

     La mort? L'autre mort... Celle, d'abord, sur quoi a abouti ce premier crime commis sous la tutelle bienveillante de Charles de Gaulle : trahir Jean Moulin jusqu'à le faire remettre à Klaus Barbie. Celle ensuite qui, par l'écrasement de la souveraineté du Conseil National de la Résistance, a permis à De Gaulle, par deux déci-sions prises en 1945 : 8 mai (Algérie) et 15 septembre (Indochine) de condamner à mort (court terme, moyen terme et long terme ras-semblés) un peu plus de deux millions d'êtres humains dont 315 000 Françaises et Français.

     Ce que développe "La Lettre de Michel J. Cuny" dans ses numéros 1, 2 et 3, qu'on pourra se procurer gratuitement, ainsi que les sui-vants, en envoyant son adresse à michelj.cuny@orange.fr

     Michel J. Cuny

19/07/2014

4. Jean, l'aîné, et Jacques, le cadet

     Né en 1901, Jacques Lacan était donc le cadet de deux années de Jean Moulin (1899). Du point de vue générationnel, il paraît n'y avoir rien d'incongru à faire du premier le porteur, pour partie, du fardeau que l'Histoire de France aura attribué au second en le plaçant là où il était : à l'endroit du crime politique du siècle.

     Crime politique du siècle : la livraison, aux nazis, du créateur et président en fonction du Conseil National de la Résistance souverain par les "services" du réputé chef de la France Libre : Charles de Gaulle. Ce dont, toutefois, les citoyennes (potentielles) et les citoyens (potentiels) que nous sommes paraissent, pour l'instant, se foutre comme de l'an 40...

     De même qu'en juin 1940, il n'y a guère eu que Jean Moulin à décider - par cette tentative de suicide visant à interdire au préfet de Chartres dont il portait l'uniforme aux passementeries brillantes la faiblesse de signer de sa main, sous les coups allemands, un document destiné à anéantir l'honneur des troupes françaises noires - qu'il n'était effectivement pas à la hauteur de la situation.

     Mais revenons à la lettre de Lacan à Alquié du 16 octobre 1929. A cette même époque, Jean Moulin était sous-préfet d'Albertville, tandis que son ami Pierre Cot venait, en 1928, de réussir sa première élection à la députation. Appliquons à l'aîné la formule du cadet :
 
     "Q
uelque chose gît au fond de nous, qui, avec nous, mais presque malgré nous, croît et mûrit, qui vit de nous mais nous fait triompher maintes fois de la mort.
      
Presque malgré nous, ai-je dit, cela doit parvenir à être mûr. C’est qu’aussi bien nous ne sommes pas libres d’en hâter la venue, d’en orienter la forme – du moins sans dommages
."

     Et constatons, sans plus, que voilà bien le fardeau qui nous attend pour autant que nous aurions la prétention - très farfelue au regard de l'abaissement qui est le nôtre depuis soixante-dix ans - d'accéder au minimum d'un quelconque droit de cité...

     Michel J. Cuny

17/07/2014

6. C'est bien pourquoi Jean Moulin est un héros incomparable

     La formule est donc désormais frappée dans le marbre d'Internet :
     "L'échec de Jean Moulin est total. Il ne reste rien de lui. Rien.
     Michel J. Cuny."

     Mais, dans le marbre elle ne l'est, et n'y est vraie que pour autant que s'y conjoint l'affirmation :
     "C'est bien pourquoi Jean Moulin est un héros incomparable.
      Michel J. Cuny."

     Incomparable ?... Pour bien entendre cela, revenons à la formule de Jacques Lacan d'avant Lacan lui-même : 

    
"Pourtant cela qui est en nous et qui nous possède, cela ne peut saillir et triompher tant que lui est lié ce qui le rend impur ; ce n’est rien moins que nous-même – le nous-même haïssable, notre particu-larité, nos accidents individuels, notre profit."

     Nous-même : le nous-même haïssable, notre particularité, nos accidents individuels, notre profit. Autrement dit : le moi. Voilà ce qui doit tomber, ordinairement, sous les coups répétés d'une ascèse, pour libérer "cela qui est en nous".

     Et nous voyons bien en quoi il était haïssable, pour Jean Moulin lui-même, ce moi tout occupé à préparer la trahison du lendemain!... Tellement qu'il n'y avait d'autre vraie solution qu'à le "suicider" avec ses beaux habits à "passementeries brillantes".

     Mais ce suicide par assaut à la gorge se révèlera avoir encore plus de poids qu'il n'y paraît d'abord : ce que nous n'aurions pas pu vérifier si Jean Moulin n'avait pas survécu à son geste de justicier sur sa propre personne.

     En effet, c'est la voix brisée, que son entourage devait retrouver le préfet de Chartres qui, s'il avait plutôt choisi de se taillader le poignet, n'aurait pas donné ce résultat qui nous renvoie à une étrange con-cordance dans le temps : le 18 juin 1940, si Jean Moulin n'a plus de voix, Charles de Gaulle obtient de donner à la sienne le rayonnement international de la BBC.

     Et tandis que Jean Moulin s'était offert le luxe de tenter de recon-duire son moi au néant, Charles de Gaulle gonflait le sien jusqu'au ridicule de la baudruche :
      "Moigénéral de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite..."

     C'est bien cette baudruche qui a pris un gros coup de dégonflette lorsque Jean Moulin est arrivé à Londres en février 1943 avec, dans une poigne de fer, l'adverbe "souverainement" qui menaçait de renvoyer De Gaulle dans des rôles secondaires fort peu accordés à la grande idée qu'il se faisait de lui-même.

     Comme les "Mémoires" nous le rapportent, De Gaulle pliera devant un homme qu'il retrouve "impressionnant de conviction et d'autorité", en même temps qu'il ne doute pas que, plus jamais, il n'aura à se sou-mettre à pareille impression de conviction et d'autorité : le "souverain", ce ne peut être que lui. 

     Mais le pire - le meilleur pour un héros - c'est que la "cause" de Jean Moulin, ce petit rien de l'exercice de la souveraineté, n'intéresse désormais plus personne en France. Pour suffire à tout, il y a, quelque part aux approches de Colombey-les-Deux-Eglises, cette infâme croix de Lorraine enfoncée comme un poignard dans notre dignité perdue... Et alors!...

     Michel J. Cuny